
L'évolution de la soul britannique jusqu'à 1974
- 08/11/2023
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Quand les Beatles sortent Love Me Do en 1962, le rock britannique n’a certainement pas l’aura de son équivalent nord-américain en dehors des frontières de l’île. La British Invasion a cependant vite pris une ampleur inédite, y compris aux États-Unis, inscrivant le pays européen comme l’une des grandes nations du genre, la seule capable de rivaliser avec les frangins du nouveau monde dans un duel esthétique relevé. Le cheminement de la soul, et plus généralement la musique noire de l’autre coté de la Manche n’a cependant pas été aussi immédiat. À quel moment les Britanniques ont su s’affranchir du modèle étasunien, s’approprier cette sweet soul music et développer leur propre esthétique ? L’histoire commence avec les débuts de la Brit Soul, des années soixante au milieu de la décennie suivante.
Les Mods et la Soul Music
Si les Beatles ou les Rolling Stones trouvent leur propre identité, un syncrétisme entre Elvis Presley, skiffle et folk, les Anglais ne parviennent pas aussi rapidement à développer leur propre version de la soul. Contexte différent, sociologie éloignée, les raisons sont nombreuses mais une en particulier semble être un obstacle important à l’émergence d’un son britannique : la notion d’authenticité.
Valeur cardinale dans la soul music, la production anglaise est systématiquement comparée à sa consœur américaine. Cette dernière touche en plein cœur la jeunesse mods britannique qui fait sienne cette musique à la fois dansante et mélancolique. Le mouvement moderniste s’éprend de musique noire, d’abord le jazz, puis la soul.
Esthètes, amateurs de la Nouvelle Vague française, les jeunes adeptes mods exaltent et subliment leur quotidien de la classe moyenne et prolétaire à travers les fringues et la musique. Cette quête de la modernité se traduit par un goût immodéré pour les disques d’import nord-américains, à la recherche des nouveautés les plus excitantes du moment.
Les mods, chargés aux amphétamines, se donnent corps et âmes sur les pistes de danse au son des dernières productions estampillées Motown ou Stax. Il émergera de tout cela la Northern Soul bien sûr, mais également les premières tentatives d’appropriation et réinterprétation de cette musique si séduisante.
Les jeunes mods britanniques ont une passion brûlante pour la soul music. Ils trouvent dans ce genre musical une voix qui exprime à la fois leur joie de vivre et leur mélancolie profonde. La soul music est le reflet de leur recherche constante de la modernité et de l'authenticité.
Les mods sont inspirés par le jazz et la soul, et ils admirent les artistes et les groupes américains qui ont créé ces formes de musique. Ils sont à l'affût des dernières nouveautés en matière de disques d'importation nord-américains, cherchant à découvrir les artistes les plus excitants du moment.
Sur les pistes de danse, les mods se donnent à fond, animés par l'énergie débordante de la soul music. Ils dansent avec passion et enthousiasme, laissant leur corps exprimer leur amour pour cette musique envoûtante.
La soul music, avec son rythme entraînant et ses paroles émouvantes, permet aux jeunes mods de s'évader de leur quotidien monotone et de sublimer leur existence. Elle leur offre un échappatoire, une façon de transcender les limites de leur classe sociale et de s'exprimer pleinement.
Cependant, la soul music ne se limite pas à une simple imitation des artistes américains. Les mods britanniques cherchent également à s'approprier et à réinterpréter ce genre musical, en y ajoutant leur touche personnelle.
Ainsi, de cette fusion entre la soul music américaine et la créativité des mods britanniques, émergera la Northern Soul, un mouvement musical unique qui témoigne de l'influence des mods sur la scène musicale britannique.
La passion des mods pour la soul music a laissé une empreinte indélébile sur l'histoire de la musique britannique. Leur quête d'authenticité et leur engagement total sur les pistes de danse ont contribué à façonner le son et l'esthétique des années 60.
Aujourd'hui encore, la soul music continue d'influencer de nombreux artistes et de toucher les cœurs et les âmes de ceux qui l'écoutent. Elle incarne à la fois la force et la vulnérabilité, la joie et la tristesse, et reste un langage universel qui transcende les barrières culturelles et sociales.
La passion des mods pour la soul music a sans aucun doute marqué l'histoire de la musique britannique, et continue d'inspirer de nouvelles générations d'artistes à travers le monde.
Nombres de groupes de la British Invasion intègrent des standards soul à leur répertoire
La British Invasion a été une période musicale révolutionnaire dans les années 1960, où de nombreux groupes britanniques ont conquis le cœur des fans du monde entier. Ce mouvement a également été marqué par l'intégration de morceaux soul dans les répertoires de ces groupes, apportant une touche de diversité et de nouveauté à leur musique.
Les Beatles, considérés comme l'un des groupes les plus influents de cette époque, se sont tournés vers le catalogue Motown pour trouver leur inspiration. Ils ont repris des succès tels que "Money" de Barrett Strong, "Please Mr Postman" des Marvelettes et "You’ve really got a Hold on Me" des Miracles avec Smokey Robinson au chant. Ces chansons soul ont parfaitement complété leur style et ont contribué à l'expansion de leur popularité.
Les Who, un autre groupe emblématique de la British Invasion, ont également été influencés par la musique soul. Leur premier album a révélé deux reprises de standards du génial showman James Brown : "I don't Mind" et "Please Please Please". Ces chansons ont ajouté une énergie contagieuse à leur répertoire et ont montré leur capacité à s'approprier des morceaux soul et à les adapter à leur propre style distinctif.
Les Rolling Stones, quant à eux, étaient de fervents adeptes du blues. Cependant, cela ne les a pas empêchés d'apprécier la musique soul dans toute sa splendeur. Ils ont inclus des reprises de Marvin Gaye telles que "Can I Get a Witness" et "Hitchhike", ainsi que des chansons d'Otis Redding comme "Pain in my Heart", dans leurs premiers albums. Ces choix musicaux témoignent de leur ouverture d'esprit et de leur volonté de mélanger différents genres pour créer une expérience musicale unique.
La British Invasion a également vu de nombreux autres groupes britanniques rock se tourner vers la musique soul pour enrichir leur répertoire. Les Kinks ont interprété "Dancing in The Streets" sur leur album Kinda Kinks en 1965, tandis que The Creation a succombé au charme de "Cool Jerk" en 1967. Ces collaborations avec des chansons soul ont permis à ces groupes de se démarquer et d'explorer de nouvelles sonorités.
En conclusion, la British Invasion a été bien plus qu'un simple mouvement musical. Elle a transcende les frontières culturelles en intégrant des éléments de la musique soul dans le répertoire de nombreux groupes britanniques. Ces reprises de standards soul ont contribué à la richesse et à la diversité de la musique de cette époque, créant ainsi une expérience unique et inoubliable pour les fans du monde entier.
Au-delà des groupes beat ou pop art
Dans les années soixante, au-delà des groupes beat ou pop art, de nombreuses formations et artistes se sont aventurés à développer un son plus proche de la soul. Bien que ces efforts se soient rarement approchés du subtil équilibre entre intensité, brutalité, émotion et délicatesse de la soul, le terme "Blue Eyed Soul" a été utilisé pour qualifier ces groupes blancs qui cherchaient à se rapprocher des sentiments soul.
Aux États-Unis, des groupes tels que les Righteous Brothers, Mitch Ryder, Young Rascals, Cannibal and the Headhunters et Box Tops ont apporté une nouvelle couleur à la musique pop en tirant leur inspiration du Rhythm & Blues et en y ajoutant des voix passionnées. De l'autre côté de l'Atlantique, l'Angleterre n'est pas en reste et développe à son tour une passion pour la soul nord-américaine.
Des groupes comme le Spencer Davis Group, The Action ou Love Affair ont non seulement puisé dans le répertoire étasunien (Chris Kenner, Marvellettes, Robert Knight, etc.), mais ont également apporté chaleur et ferveur grâce à leurs remarquables chanteurs respectifs : Steve Winwood, Reg King et Steve Ellis.
Les artistes solos ne sont pas en reste. En dehors de Tom Jones, citons peut-être la plus brillante d'entre toutes : Dusty Springfield. En 1969, la chanteuse britannique a enregistré le classique "Dusty In Memphis" à l'American Sound Studio, qui est peut-être l'un des meilleurs albums de l'époque.
"Son of a Preacher Man" est l'un des moments de grâce de cet album à part. Grâce au cinéma, notamment grâce à Quentin Tarantino, cette chanson continue aujourd'hui d'être dans notre inconscient collectif.
Des interprètes nés sur le sol américain
Les Britanniques étaient toujours à la recherche de nouvelles voix talentueuses pour alimenter leur scène soul dans les années soixante. Attirés par l'authenticité des artistes américains, ils ont permis à certains d'entre eux de faire carrière en Angleterre. L'une de ces voix d'exception est celle de PP Arnold, une chanteuse née à Los Angeles en 1946, qui a débarqué à Londres à l'âge de 20 ans.
À ses débuts, PP Arnold a travaillé comme choriste auprès des Ikettes, le groupe qui accompagnait Ike et Tina Turner. Sa voix puissante et captivante lui a rapidement valu d'être remarquée par le label Immediate, fondé par Andrew Loog Oldham, le manager des Rolling Stones. Elle a ainsi eu l'occasion d'apparaître sur plusieurs singles de renom, notamment ceux des Small Faces avec le titre "Tin Soldier", et celui de Chris Farlowe.
Dans les années soixante, PP Arnold a sorti deux albums et une dizaine de singles qui ont connu un grand succès. Cependant, l'histoire ne s'arrête pas là. À la fin des années quatre-vingt, elle a fait un come-back surprenant en collaborant avec des artistes britanniques iconiques. Elle a notamment prêté sa voix aux classiques de KLF tels que "3 AM Eternal" et "What Time Is Love ?", ainsi qu'au titre "E-Vapor-8" d'Altern-8.
Un autre groupe qui illustre bien cette tendance est The Flirtations. Originaire de Caroline du Sud, ce trio a sorti quelques singles aux États-Unis avant de débarquer en Angleterre. Ils ont été rapidement signés par les labels Parrots (associé à Tom Jones) puis Deram. Leur talent et leur énergie ont fait d'eux l'une des attractions majeures dans les clubs anglais.
Ces artistes ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres. De nombreux interprètes américains ont réussi à faire le bonheur des clubs anglais avec leurs prestations enflammées. Le paysage musical britannique a donc été enrichi par cette vague d'artistes venus d'outre-Atlantique, apportant une nouvelle saveur à la scène soul et contribuant ainsi à la diversité de la musique populaire de l'époque.
Le club, un révélateur
Les années soixante étaient une période marquante pour la scène musicale britannique. Deux chanteurs en particulier ont su se démarquer et ont laissé une empreinte indélébile dans l'esprit des esthètes de la jeunesse mods. Leur influence sur la musique soul au Royaume-Uni fut profonde, et ils ont été les premiers à démontrer l'importance de la culture live pour ce genre musical dans un pays où la production et les songwriters étaient privilégiés par rapport à la dimension scénique.
Jimmy James, un chanteur d'origine jamaïcaine, était l'une de ces figures emblématiques. Il avait déjà enregistré avec Coxsone Dodd, un producteur de renom. Avec son groupe, les Vagabonds, il a mis le feu au Marquee et à d'autres lieux emblématiques de Londres. Dans les années soixante, ces concerts enflammés étaient souvent en première partie d'artistes rock de renom tels que The Who, les Rolling Stones, Jimi Hendrix, Rod Stewart et bien d'autres.
Geno Washington, quant à lui, était un chanteur américain stationné en Angleterre sur une base de l'US Air Force. Il se produisait régulièrement dans les clubs londoniens, captivant le public avec sa voix puissante et son énergie débordante. Il rejoignit ensuite le Ram Jam Band, avec lequel il signa chez PYE, tout comme Jimmy James & The Vagabonds. La formation enchaîna les succès, sortant plusieurs singles et deux albums live qui retranscrivaient parfaitement l'atmosphère électrique de leurs concerts, très appréciés des mods.
En 1980, les Dexys Midnight Runners de Kevin Rowland lui rendirent d'ailleurs un hommage en lui dédiant une chanson intitulée "Geno". Cela témoigne de l'influence qu'il a eue sur la scène musicale britannique et de son statut d'icône pour les mods.
L’hybridation avec le rock progressif
La musique noire britannique n’échappe pas à la vague progressive déferlant sur l’Angleterre. De nombreuses formations vont ainsi mêler aux rythmiques complexes, jeux de guitares recherchés des influences afro-américaines et caribéennes.
Deux groupes symbolisent particulièrement cette période inédite où tout semble possible, avec comme seule limite le ciel. Demon Fuzz et Cymande, chacun à leur manière, développent de nouveaux langages musicaux, à travers des titres aux longueurs généreuses (Dove) avec de nombreux passages improvisés.
Leur musique est faite de métissages, un pied sur deux voir trois continents (Europe, Amérique et Afrique). Les albums ne sont pas sans défauts mais gardent un voile mystérieux toujours aussi saisissant quarante ans plus tard. Sources intarissables de samples pour les rappeurs, ils sont entrés dans notre inconscient collectif malgré leur absence de succès certain à l’époque de leur production.
L’émergence d’une production locale populaire
À la fin des années soixante et la première moitié des seventies, l’Angleterre assiste aussi à ses premiers gros succès soul. La sociologie de cette musique y est différente des États-Unis. En plus des chanteurs américains installés aux Royaume-Uni et des divers artistes blue-eyed-soul, le pays peut compter sur l’immigration du Commonwealth. Cette singularité donne lieu à l’émergence de groupes mixtes comme les Equals et surtout les Foundations.
La formation des Foundations se compose de musiciens issus d’Angleterre mais aussi du Sri Lanka et des anciennes colonies britanniques des Antilles/West Indies/Caraïbes comme la Jamaïque ou la Dominique. Cette fusion culturelle donne une dimension unique à leur musique, mélangeant les influences britanniques et caribéennes.
Les Foundations grimpent en haut des charts des deux côtés de l’Atlantique grâce à des chansons emblématiques comme "Baby Now That I’ve Found You" (#1 UK, #11 US, #1 Canada) ou "Build Me Up Buttercup" (#3 US, #1 UK, #1 Canada, #1 Australie etc.). Ces succès ont permis au groupe de gagner en popularité et d'atteindre un large public à travers le monde.
Le cas de Sweet Sensation est un autre exemple similaire. En 1974, cette formation mixte d’anglais, jamaïcains et habitants de Saint-Christophe (Saint Kitts en anglais) a également su ravir le public avec une balade sirupeuse et voluptueuse pas très éloignée des slows estampillés Philly. Leur titre "Sad Sweet Dreamers" rencontre un énorme succès et se classe en haut des charts (#1 UK, #10 Canada, #14 US etc.).
Cette époque voit émerger une production locale populaire en Angleterre, où des artistes issus de différentes cultures se réunissent pour créer une musique unique et diversifiée. Ces formations mixtes ont contribué à enrichir le paysage musical britannique et ont laissé une empreinte durable dans l'histoire de la musique.
En 1974, toujours chez PYE, Carl Douglas, un autre immigré jamaïcain, écrit une nouvelle page de la musique britannique avec une scie proto-disco aussi fascinante qu’agaçante, mais ceci est une autre histoire qui sera abordée dans le prochain épisode !
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